Assomption
Science et Révélation
Nous étions en 1950 et Pie XII s'était décidé à proclamer le dogme de l'Assomption, affirmant que « Marie, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée en corps et en âme à la gloire céleste». On peut voir dans cette proclamation le message dogmatique ultime de l'Église catholique, puisqu'il concerne Celle qui fut à l'origine de la révélation chrétienne et qu'il célèbre l'ultime événement de son existence historique. Mais ce message fut mal reçu. J'étudiais alors la philosophie à Nancy, et ,parmi les jeunes chrétiens de mon entourage, l'incrédulité régnait. «Passe encore que l'on parle d'une montée au Ciel de son âme, disaient-ils; mais de son corps? qu'est-ce que cela peut bien signifier? Ou alors, il s'agit d'un symbole. »Curieusement, cette critique, loin de m'ébranler, suscita en moi comme l'évidence d'une réponse : par-delà les divisions et les oppositions de la raison analytique, se tenait la vérité du réel, un en lui-même, inséparablement historique et symbolique,visible et invisible, physique et sémantique. Cette évidence reposait sur une sorte d'intuition directe et soudaine où se révélait, obscurément, mais sans doute possible,la nature ontologiquement spirituelle de la matière des corps,sans que pour autant je misse aucunement en doute la réalité de leur corporéité Ce que la perception me donnait à connaître était vraiment réel, mais ne correspondait qu'à un mode de ce réel (la corporéité) qui en comportait d'autres, par définition invisibles, quoique plus réels encore. Autrement dit, ce que la plupart tenait pour scientifiquement inconcevable apparaissait à mon intuition cosmologiquement possible.Ce que je récusais, ce que je tenais pour impossible, c'était que la réalité de l'Assomption de Marie fût exclusivement d'ordre historique, ou exclusivement d'ordre symbolique. Je renvoyais dos à dos aussi bien les littéralistes fondamentalistes qui, pour sauver la vérité de la révélation (Ecriture ou Tradition) rejettent tout symbolisme, que les «figuristes » démythiseurs : en niant toute présence du céleste dans le terrestre, du supra-mondain dans le monde, du divin dans l'humain, et donc tout miracle, ils exilaient le religieux hors de l'histoire et de l'existence humaines, et transformaient en pures figures, en simples «façons de dire», les expressions traditionnelles de la foi.
Il était clair, en effet,que les uns et les autres partageaient la même conception et de l'historique et du symbolique. Ce qui les distinguait concernait seulement leur rapport à la foi. Pour les premiers - au fond des fidéistes -, l'adhésion de foi impliquait l'adhésion exclusive à la lettre du texte,sinon la foi risquait de s'évanouir. Pour les autres - au fond des rationalistes -, l'adhésion de foi (une foi vidée de tout contenu et réduite à sa propre affirmation) impliquait le rejet de la lettre du texte et de sa nature inconsciemment mythique, sinon la foi risquait d'être impossible. Mais, pour les uns comme pour les autres, le champ du réel créé s'identifiait à l'ordre matériel, et se présentait nécessairement sous la forme d'êtres physiques et d'événements historiques, dans le cadre spatio-temporel,tandis que le symbolique ne pouvait avoir que le sens d'un non-réel ou d'un substitut fictif du réel.Admettre que certains événements de l'histoire sainte ne se sont pas produits et déroulés tels qu'ils nous sont racontés, ou qu'ils obéissent à des nécessités sémantiques, et non à la nécessité physique des seules conditions de notre monde sensible, c'est,pour les littéralistes, nier leur existence.Évidemment,ces fidéistes ne sauraient nous dire comment des événements contraires à toutes les lois physiques ont pu se produire et n'invoquent en permanence que le miracle. À ce fidéisme naïf répond le fidéisme savant du rationalisme démythiseur. Selon Bultmann, c'est précisément parce que les faits sacrés et les miracles sont physiquement impossibles et théologiquement faux, que, ne pouvant réellement y croire, nous sommes contraints, pour sauver notre foi, de les interpréter comme de simples figures du discours religieux qui trahissent,en la cosmologisant, la vérité de la foi : ainsi comprise, la mythologie religieuse apparaît pour ce qu'elle est, un ensemble de figures symboliques. Comme on le voit, les uns et les autres partagent une même conviction : le réel et le symbolique s'excluent réciproquement.
extrait de " le sens du surnaturel" de Monsieur Jean BORELLA
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