Le silence selon Saint jean de la Croix

Publié le par jean

 

Jésus et Marie soient en vos âmes, mes chères filles en Jésus-Christ. Votre lettre m'a donné beaucoup de consolation, je prie Notre-Seigneur de vous en récompenser. Si je ne vous ai pas écrit, ce n'a pas été faute de bonne volonté, car je ne désire rien tant que votre bien ; mais c'est que j'ai jugé qu'on vous a dit et écrit assez de choses, pour vous obliger à faire ce qu'on vous a enseigné; car c'est assurément ce qui est le plus nécessaire, puisque, si l'on souhaite quelque chose, ce n'est pas de parler et d'écrire, c'est de ne rien dire et de faire beaucoup. Les paroles dissipent l'esprit, le silence le recueille et lui donne de grandes forces pour aller à Dieu. C'est pourquoi lorsque quelqu'un a appris ce qu'il doit savoir pour avancer en la vie spirituelle, il n'a plus besoin, ni de recevoir de nouvelles instructions, ni de parler, mais d'accomplir ce qu'il sait, en silence, avec soin, avec humilité, avec amour, avec mépris de soi-même, sans rien rechercher de nouveau. Cela ne sert qu'à contenter l'inclination qu'on a pour les choses extérieures, et affaiblir l'esprit intérieur. De sorte qu'on ne tire aucun fruit ni de l'un ni de l'autre, comme on ne profite pas de la nourriture qu'on prend avant que les viandes qu'on a prises quelque temps auparavant soient digérées : ce qui engendre plusieurs maladies. Il est important, mes chères filles, de nous garantir des tromperies du démon et de la sensualité. Nous trouverons que, sans cette précaution, nous aurons commis plusieurs fautes, et que nous serons bien éloignés des vertus de notre Sauveur. Quand nous comparaîtrons au jugement du Seigneur, nous n'y porterons que des œuvres fort imparfaites : notre lampe, que nous pensions être allumée, se trouvera éteinte.

 

De peur donc que ce malheur ne nous arrive, nous n'avons point de meilleur moyen que de souffrir, d'agir, de garder le silence, de fermer nos sens aux objets extérieurs, de nous tenir dans la retraite, d'oublier toutes les choses de la terre. Quelque événement, bon ou mauvais, que nous voyions dans le monde, il faut conserver la paix intérieure, qui est le fruit de l'amour de Dieu, et une disposition très-propre pour souffrir patiemment en toutes rencontres. Car la perfection est d'une si grande conséquence, et la tranquillité d'esprit est si précieuse, que Dieu fait tout ce qui est suffisant pour nous donner les moyens de l'acquérir. En effet, personne ne saurait faire aucun progrès en la vie spirituelle sans agir, sans souffrir avec vertu, et sans cacher ses œuvres dans le silence. Il a plu à Dieu de me faire connaître, mes chères filles, que celui qui veut parler et converser avec le prochain, ne peut avoir que très-peu d'attention à Dieu, et que quand il en a beaucoup, il se sent aussitôt attiré intérieurement à garder le silence et à fuir le commerce du monde. Car c'est une chose plus agréable à Dieu, de mettre tout son plaisir en lui seul, que de le mettre en une créature, quelque excellente et utile qu'elle puisse être. Je me recommande à vos prières, et je vous prie de vous persuader que quelque peu de charité que j'aie pour le prochain, elle se ramasse toute en vous, pour ne vous pas oublier devant Dieu, en qui je vous suis très-dévoué, et qui soit toujours, s'il lui plaît, avec nous. Ainsi soit-il.

 

 

 

A Grenade, le vingt-deuxième de novembre 1587.

 

Fr. Jean de la Croix,

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